mercredi 1 juillet 2009

Le Masque de poudre et le chant du moineau



Document 1



Le
Chevalier
de
Saint-Georges



Les amours et la mort du pauvre oiseau
Louise Fusil, Souvenirs d'une actrice

Je revins à Amiens, où Saint-Georges et Lamothe m'attendaient pour organiser leurs concerts.

Saint-Georges et Lamothe étaient Oreste et Pylade; on ne les voyait jamais l'un sans l'autre. Lamothe, célèbre cor de chasse de cette époque, eût été aussi le premier tireur d'armes, disait-on, s'il n'y avait pas eu un Saint-Georges. La supériorité de Saint-Georges au tir, au patin, à cheval, à la danse, dans tous les arts enfin, lui avait assuré cette brillante réputation dont il a toujours joui depuis son arrivée en France. Il était un modèle pour tous les jeunes gens d'alors, qui lui formaient une cour; on ne le voyait jamais qu'entouré de leur cortège. Saint-Georges donnait souvent des concerts publics ou de souscription ; on y chantait plusieurs morceaux dont il avait composé les paroles et la musique ; c'étaient surtout ses romances qui étaient en vogue. Celle que je vais citer, est une des plus faibles dont j'ai conservé la mémoire, il me la fit chanter dans une de ses soirées chez la marquise de Chambonas.

L'autre jour sous l'ombrage
Un jeune et beau pasteur
Soupirait ainsi sa douleur
À l'écho plaintif du bocage.
Bonheur d'être aimé tendrement,
Que de chagrins vont à ta suite.
Pourquoi viens tu si lentement
Et t'en retournes-tu si vite ?

Ma maîtresse m'oublie,
Amour fais-moi mourir
Quand on cesse de nous chérir,
Quel cruel tourment que la vie.
Bonheur d'être aimé tendrement, etc.

Saint-Georges possédait le sentiment musical au plus haut degré, et l'expression de son exécution était son principal mérite. Un morceau qui lui valut de grands succès sur le violon, c'était _les Amours et la mort du pauvre oiseau_. La première partie de cette petite pastorale s'annonçait par un chant brillant, plein de légèreté et de fioritures; le gazouillement de l'oiseau exprimait son bonheur de revoir le printemps, il le célébrait par ses accents joyeux.

Mais bientôt après venait la seconde partie où il roucoulait ses amours. C'était un chant rempli d'âme et de séduction. On croyait le voir voltiger de branche en branche, poursuivre la cruelle qui déjà avait fait un autre choix et s'enfuyait à tire d'ailes.

Le troisième motif était la mort du pauvre oiseau, ses chants plaintifs, ses regrets, ses souvenirs où se trouvaient parfois quelques réminiscences de ses notes joyeuses. Puis sa voix s'affaiblissait graduellement, et finissait par s'éteindre. Il tombait de sa branche solitaire; sa vie s'exhalait par quelques notes vibrantes. C'était le dernier chant de l'oiseau, son dernier soupir[40].

Je fis un nouvel engagement avec Saint-Georges et Lamothe pour des concerts, à Lille, en 1791. Lorsqu'ils furent terminés, Saint-Georges comptait les renouveler à Tournay. Cette ville était alors le rendez-vous des émigrés[41]. Ils ne voulurent point y admettre le créole. On lui conseilla même de n'y pas faire un plus long séjour.

Ce fut à son retour à Paris que Saint-Georges forma un régiment de mulâtres dont on le nomma colonel ; il revint à Lille au moment du siège, et son régiment se battit contre les Autrichiens. J'appris depuis que Saint-Georges et Lamothe étaient partis pour Saint-Domingue qui était en pleine révolution; on répandit même le bruit qu'ils avaient été pendus dans une émeute. Depuis assez longtemps je les croyais donc morts, et je leur avais donné tous mes regrets, lorsqu'un jour que j'étais assise au Palais-Royal avec une de mes amies, et que notre attention était fixée à la lecture d'une gazette, je ne remarquai pas tout de suite deux personnes qui s'étaient placées devant moi. En levant les yeux, je les reconnus, et je jetai un cri comme si j'eusse envisagé deux fantômes; c'étaient Lamothe et Saint-Georges, qui me chanta:

À la fin vous voilà! Je vous croyais pendus.
Depuis bientôt deux ans qu'êtes-vous devenus?

— Non leur dis-je, je ne vous croyais pas précisément pendus, mais bien morts, et je vous ai pris pour des revenants.

— Nous le sommes en effet, car nous revenons de loin, me dirent-ils.

Je les revis plusieurs fois encore, mais nous fûmes bientôt tous dispersés. À mon retour de Russie, en 1813, Saint-Georges ne vivait plus, Lamothe était attaché à la maison du duc de Berry. Après l'horrible catastrophe de ce prince, Lamothe alla à Munich, où Eugène Beauharnais l'accueillit avec empressement: mais destiné à survivre à tous ses protecteurs, je le retrouvai en passant dans cette ville. Le roi de Bavière actuel lui avait conservé sa place.

Louise Fusil, Souvenirs d'une actrice
Dumont (Paris), 1841-1846











Jeff Koons
Porcelaine
Michæl Jackson



Il était une fois Michæl Jackson
par Sylvie Laurent [29-06-2009]

Michael Jackson était bien plus qu’un chanteur

Le manichéisme analysé par Bettelheim est au cœur de l’œuvre de Jackson et son malaise personnel, son « moi déchiré », est une tentative mimétique de réconciliation. De cette incompatibilité, de cette improbable négociation entre l’enfance idéale et l’expérience mortifère de la vie est né un monstre, une créature se défiant des lois de l’humanité. Au travers de son art, et sa vie personnelle en est une partie intégrante, il cherche alors à incarner toutes les polarités pour les dépasser et les annuler : innocence/culpabilité, jeune/vieux, noir/blanc, homme/femme, religieux ou séculier. Il a ceci de commun également avec Spielberg d’avoir compris le rôle de l’image et de l’écran dans la recréation d’une psyché enfantine dans laquelle tous se retrouvent, les adultes se redécouvrant enfants.

Le critique Michael Dyson y voit un signe du caractère « postmoderne » du chanteur, dont « l’iconisation » eut lieu selon lui lors d’une épiphanie télévisuelle que l’on peut précisément dater : le 16 mai 1983, Jackson l’étrange apparaît dans l’émission « Motown 25 ». Il y exécute un numéro époustouflant de danse dont le point d’orgue est le célèbre Moonwalk, hérité bien davantage des grands danseurs et ménestrels afro-américains – depuis le génial Bill Bojangle [9] jusqu’à Sammy Davis – qu’à Fred Astaire ou au mime Marceau. Plus de cinquante millions de personnes regardent le show et sont ensorcelées par ce zombie qui danse.

[…]

Cette représentation de Jackson, soulignant à gros traits son caractère asexué, a le mérite d’illustrer l’articulation subtile entre l’identité de genre et l’identité raciale, dans le monde afro-américain tout particulièrement. Il est vrai que si la conscience raciale torturée de Jackson s’exprime dans son apparence physique, elle s’exprime également par son refus apparent de tout attribut viril ou clairement masculin. La peau blanchie et poudrée est évocatrice d’une féminité coquette et, de manière traditionnelle dans l’histoire africaine comme américaine, c’est sur les femmes que pèse l’impératif de la clarté de la peau [18].

L’androgynie de Jackson fonctionne très certainement comme un déplacement de la problématique raciale et il a inspiré en cela d’autres artistes noirs américains, qu’il s’agisse de Prince ou d’André 3000, rappeur talentueux du groupe Outcast. La virilité de l’homme noir est toujours en effet peu ou prou associée dans l’imaginaire racial américain à la menace du viol de la femme blanche.

En ce sens, revendiquer par l’accoutrement son travestissement est une forme de protection dans une Amérique raciste à bien des égards. Ainsi, d’une certaine façon, moins on souscrit à l’échelle de valeur de l’oppresseur (dans laquelle la virilité figure en bonne place, comme le remarquait également Fanon), moins on se vit et on est perçu comme noir. Dans le même temps bien sûr, la confusion dans le genre transgresse la bienséance que constitue l’hétérosexualité pour l’ordre dominant. La confusion de genre et – donc – de race entretenue par l’artiste maquillé fit d’ailleurs l’objet d’un colloque académique à l’université de Yale en 2004 (« Regarding Michael Jackson : Performing Racial, Gender, and Sexual Difference »), les chercheurs invités se penchant notamment sur l’homosexualité « déniée » de Jackson, la mise en scène énigmatique de son personnage de père de famille et enfin sa reconstruction d’un mythe masculin acceptable pour lui dans le vidéoclip « Thriller ».

Il était une fois Michæl Jackson (Lire le texte entier)

UnivCsgd94120
Et le vent de l’Histoire chante en moi (J. Brel)

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